Quelle place pour la religion dans nos sociétés contemporaines ?
Quand on regarde une carte du monde, on voit bien que la surface terrestre est partagée entre plusieurs grandes religions. Pour faire simple, l’Europe s’inscrit dans une tradition chrétienne, mais d’autres grandes religions existent, évidemment l’Islam, l’église orthodoxe ou le bouddhisme pour ne parler que des principales. Certains en ont conclu que ce partage du monde aboutit à un clash de civilisations : conflits entre les valeurs asiatiques et les valeurs occidentales, conflit entre l’Occident de tradition chrétienne et l’Islam. Mais c’est faire peu de cas de deux phénomènes. D’abord, si on prend le cas de l’Islam, nous sommes devant un ensemble d’une très grande diversité. La Turquie n’est pas l’Iran, le sunnisme n’est pas le chiisme, l’Indonésie n’est pas l’Egypte.
Ensuite, peu ou prou, tous ces espaces participent aujourd’hui de la mondialisation. Et donc la même société peut d’un côté faire référence à des valeurs religieuses traditionnelles et par ailleurs partager des valeurs qui sont liées aux technologies et au marché. Donc dans la même tête, on peut avoir des versets du Coran ou des prières chrétiennes et de l’autre, les lois de la biotechnologie ou une approche tout à fait scientifique. Donc les choses sont beaucoup plus compliquées.
En France, plus particulièrement, nous avons pensé que la sécularisation, le fait que la référence religieuse ne soit plus centrale dans la société était une révolution irréversible. Et elle l’est de fait.
Mais on voit aussi qu’en même temps il y a une forme de retour de la religion. On voit par exemple l’intérêt pour le Bouddhisme, pour les spiritualités et les sagesses anciennes. Et évidemment, il y a cette forte religiosité qui concerne la religion musulmane mais aussi les « born again » protestants ou des jeunes catholiques qui reprennent le flambeau de l’évangélisation.
Comment comprendre ces phénomènes ? Est-ce qu’on doit les considérer comme le recul de la raison ? C’est évidemment beaucoup plus compliqué que ça.
D’abord, on peut dire que chaque être humain a besoin aussi de spiritualité. Chaque être humain s’inquiète du sens de sa vie, s’inquiète de la mort, s’inquiète de la transmission. Donc quelque part, ce besoin de spiritualité auquel on ne répond pas quand on est dans les allées d’un hypermarché, ou quand on regarde les chaines commerciales de la télé, on peut le trouver dans différentes formes de spiritualité dont la spiritualité religieuse.
Les valeurs centrales qui unifiaient notre société se sont considérablement affaiblies. Qu’est-ce que la liberté quand on n’a pas la liberté de travailler, de manger parce qu’on n’a pas de revenu. Qu’est-ce que l’égalité quand les inégalités à l’échelle mondiale explosent de manière indécente. Qu’est-ce que la fraternité quand tant de personnes vivent des discriminations ou des humiliations. Et comment dans cette longue crise qui traverse nos pays, croire encore à la promotion sociale grâce à l’éducation, grâce au diplôme, grâce au travail ? Aussi, face à cette forme de désespoir, les gens ont tendance à trouver leur planche de salut dans telle ou telle identité particulière. Alors certains retrouvent leurs racines bretonnes, d’autres soutiennent leur club de foot, ce sont des identités particulières. Les religions offrent des possibilités plus importantes pour donner un sens à une inquiétude qui nous travaille tous.
La relation entre les sociétés et les religions restera complexe et on ne peut traiter ces questions ni par l’ignorance ni par le mépris.